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Paroisse St Etienne de GrandmontActualitésHomélie du père Bruno Guicheteau

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Homélie du père Bruno Guicheteau

Homélie du père Bruno Guicheteau : 3ème dimanche de Pâques

Rencontre entre les disciples d'Emmaüs et Jésus ressuscité

Luc 24,13-35

 

Frères et sœurs,

Le Christ nous accompagne, comme il accompagnait sur la route les deux disciples d'Emmaüs. Jésus l'a promis à ses amis : " Allez donc, de toutes les nations faites des disciples. Et voici que je suis avec vous pour toujours " (Mat 28,19-20). Certaines fois, nous pouvons avoir l'impression d'être laissés à nous-mêmes. Le Seigneur nous aide-t-il à surmonter les épreuves - et nous pensons bien sûr à celle que nous traversons en ce moment - ? Comment comprendre notre situation et la regarder avec les yeux de l'espérance ? Pouvons-nous ressentir la présence et l'action de Jésus, comme les deux disciples qui disaient ressentir leur cœur brûlant tandis qu'il leur parlait sur la route ?

On peut relever plusieurs aspects dans l'expérience vécue par les deux disciples. Il y a d'abord la réflexion. Ils ne comprennent pas le mystère de la passion. Jésus semblait être le prophète attendu pour délivrer Israël de tous ses maux. Pourquoi devait-il affronter la condamnation et la mort ? Et Jésus ouvre leur intelligence à ce mystère. Il leur explique ce qui le concerne à partir des Ecritures, pour nous aujourd'hui l'ancien Testament.

Nous aussi, nous avons besoin de comprendre, de nous expliquer les réalités. C'est une exigence de notre intelligence. Mais comment comprendre dans nos vies, la présence de la souffrance et de la mort qui va tellement à l'encontre d'un sens positif de l'histoire auquel chacun aspire naturellement. Il n'y a pas de véritable solution rationnelle à ce mystère et l'apport des religions païennes ne nous aide pas tellement plus : elles donnent comme explication l'affrontement entre les dieux bons et les dieux mauvais, sans issue définitive. Pour avancer, sans doute faut-il suivre l'exemple de Jésus. Il s'appuie sur les Ecritures qui nous révèlent un autre visage de Dieu que celui des religions païennes.

Sans doute Jésus a-t-il redit aux disciples l'amour absolu de Dieu, manifesté à travers l'histoire, à travers les Ecritures justement. Il n'y a pas deux facettes en Dieu, l'une bonne et l'autre mauvaise. Il n'y a pas non plus deux dieux. Et si le Seigneur agit sans cesse par amour, alors l'acceptation du sacrifice de son Fils est aussi un acte d'amour et non un désir morbide que du sang soit versé. L'homme a des limites et il n'est plus en communion totale avec le Seigneur ; mais Celui-ci n'en reste pas là. Il assume notre vie et notre histoire pour nous faire aller au-delà. Tout contribue au bien de l'homme dans l'œuvre de Dieu, y compris celle de la passion. Alors un horizon de sens et de salut apparait. Une vraie sagesse guide notre monde et notre histoire. Il faut l'accueillir avec foi et elle nous éclaire. C'est probablement ces considérations que Jésus a partagé avec les disciples d'Emmaüs.

Cependant, l'action de Jésus sur eux n'est pas resté seulement sur le plan intellectuel. Il n'a pas touché seulement leur intelligence. Le témoignage des disciples laisse entendre que leur cœur aussi a été touché, c'est-à-dire plus que l'intelligence, aussi la sensibilité, l'attrait vital. En fait, toute leur personne a vibré. Ils ont rapporté que leur cœur était brûlant en eux tandis que le maître leur parlait en chemin.

La description de ce genre d'expérience passe par les symboles, ici celui de la brûlure et donc du feu. Certes le feu consume. Mais aussi il réchauffe. Il est signe de vigueur, de transformation. Quand on est envahi par le feu, on devient soi-même brûlant, rayonnant. On devient vigoureux. Ces expressions signifient une transformation vitale et globale de la personne.

C'est ce qu'on est invité à vivre avec Jésus. Celui-ci ne communique pas seulement des théories et du savoir. Il transmet un élan. Il saisit l'homme dans sa globalité, corps, esprit, sensibilité, affectivité, volonté. Son amour porte à l'incandescence le cœur de l'homme et le transforme pour en faire un cœur qui, à son tour, se donne. Ce genre d'expérience n'est pas réservé aux saints, aux mystiques. Nous avons pu nous sentir pris totalement, par exemple par la beauté d'un paysage, par la présence d'une personne, par un passage de l'Ecriture. C'est ce que nous sommes appelés à vivre en présence du Christ sauveur. Sa vie doit toucher et transformer nos vies dans leur globalité. Sa vie doit devenir notre vie. Son élan d'amour doit devenir notre élan.

Mais l'expérience des disciples d'Emmaüs ne s'est pas arrêtée là. Au cours du repas dans l'auberge, au moment de la fraction du pain, ils reconnurent Jésus. Ils sont passés du ressenti à la vision et à la reconnaissance. Ils ont été reconnus par Jésus et ils ont reconnu Jésus. Pour deux personnes qui demeuraient éloignées jusque-là l'une de l'autre, le fait de se retrouver et de se reconnaître mutuellement donne une force nouvelle à leur communion. On le sent bien en ce moment où nous vivons le confinement : ce n'est pas exactement la même chose de se parler à travers un téléphone et d'être en présence l'un de l'autre physiquement, pleinement, et de se reconnaître mutuellement. La communion devient plus parfaite, plus directe, plus totale.

Pour les deux disciples, cette expérience de vision et de reconnaissance, en lien avec la fraction du pain, fut très fugitive. Jésus disparu aussitôt à leur regard. Pour nous, il ne nous sera sûrement jamais donné de voir Jésus sur cette terre. Et c'est pourtant la perspective ultime de notre existence chrétienne. Le sommet de la vie, c'est la rencontre totale, face à face, directe avec Dieu, avec le Ressuscité. Alors, nous le reconnaîtrons et il nous reconnaitra ; nous lui serons semblables, écrit saint Jean (1 Jn 3,2). Mais maintenant, nous pouvons voir et reconnaître le Christ, quoique de manière encore cachée, mais réellement, dans les pauvres auxquels il s'identifie et dans l'Eucharistie dans laquelle il se donne.

Oui donc, Jésus est vraiment là avec nous ! Mais il faut prendre le temps de le rencontrer et de le laisser nous parler et nous toucher. Les Ecritures nous enseignent : prenons-nous le temps de les lire avec foi et de les comprendre ? La méditation, la prière, nous transforme : laissons-nous la présence et les paroles de Jésus saisir notre cœur ? La rencontre avec les pauvres et la participation à l'Eucharistie nous préparent à la rencontre face à face avec le Christ Ressuscité : quelle attention donnons-nous aux pauvres et à la présence du Christ dans l'Eucharistie ? Oui, Jésus chemine avec nous. Laissons-lui une place au milieu de nous, peut être la meilleure place. Et cela nous ouvre à l'Espérance. Cela nous donne, nous redonne, le goût d'agir, de témoigner et d'aimer ! Cela donne à nos vies un goût d'éternité. Amen.